Autoportrait.
Entre mes mains le cogito ergo sum
se façonne en un j'écris donc j'existe.
Je suis une grande rêveuse.
Aussi surement que l'on passe à côté de sa vie j'aime à penser que la
mienne recèle une destinée incroyable. Souvent incomprise, du moins
j'aime à me croire incomprise et compliquée, je trace d'une encre
indélébile les contours encore incertains de ma vie. A l'encre de mes
larmes et de mes joies, à force de souffrance et de détermination je
grave et défait impunément les souvenirs qui font que je suis celle que
je suis.
Grande romantique, je me peint tantôt en Juliette langoureuse tantôt en
l'héroïne d'un roman de Nicolas Fargue. Ces romans où chaque lignes,
chaque mots peignent fébrilement la difficulté de la rupture. La
rupture avec celle que je fus, la rupture avec celui que l'on aime
encore ou bien la rupture de nos rêves.
Grande sentimentale, j'attends encore mon prince charmant pensant
parfois l'avoir aperçue dans ce fameux RER qui m'amène chaque jour un
peu plus vers le rêve que je me suis construis, ce chemin qui façonne
celle que je deviendrais. Parfois, je pense l'avoir trouvé dans ce
train, incarné dans la personne de ce séduisant jeune homme qui me
sourit. Parfois, ces quelques regards échangés, ces regards discrets et
furtifs que l'on croit apercevoir nous appelle à rêver de cet autre que
l'on ne connait même pas. Ce regard, sorte de promesse incertaine d'un
avenir désirée à deux se termine bien vite. Excipit soudain de cette
histoire encore incertaine et chancelante, excipit précipitée par la
descente forcée du train, de ce train qui nous amène chez nous, auprès
de toutes ces personnes qui sont censées compter pour nous. Parfois
encore, je me surprends à espérer qu'il viendra m'interpeller, encore
haletant de la course qu'il vient de faire pour me rejoindre, qu'il
viendra me demander mon prénom, comme la volonté encore timide
d'esquisser maladroitement les traits de cette histoire prédestinée à
être éphémère et sans avenir. L'amour c'est souvent comme les voyages
en train.
Grande lectrice, j'aime me peindre au grès de mes lectures. Souvent,
héroïne d'un autre temps, tantôt héroïne d'un Voyage dans le passé de
Kakfa d'autres fois encore pétasse dévergondée de l'Attrape-cœur de
Salinger. Autant de contrastes qui font de moi une fille incroyablement
désespérée, parfois amourachée de je ne sais quel jeune homme, souvent
énigmatique je suis toutes ces facettes du moi. Aussi réel que le
cogito ergo sum je ne m'arrête pas au propre reflet froid et unique que
mon miroir ose insidieusement me transmettre sans prendre garde à la
déception que je vais ressentir face à mon portrait beaucoup trop banal
à mon goût. Je suis ce moi au multiples facettes. Je suis ce moi en
contradiction avec elle-même, perdue dans la complexité de sa propre
personne, coincée dans les dédales et les états d'âmes de son esprit.
Grande idéaliste, je me complets dans la recherche effrénée de cette
sacro-sainte perfection forgée par les principes immuables que m'a
enseigné ma courte existence. Idéalisée à travers la figure de mon
père, je tente tant bien que mal d'être cette fille parfaite. Amer
échec, affreux constat que de se rendre compte que l'on ne sera jamais
à la hauteur de ce père, de cette figure que bien malgré nous on élève
dans les sommets de la perfection et de l'infaillibilité humaine.
Écrivaine à mes heures perdues; je m'écris. Ces longues et
incalculables insomnies, ces incessantes réflexions nocturnes et toutes
ces peines et souffrances d'une adolescente paumée ont fait de
l'écriture mon exutoire. Mélodie d'une fille incertaine, symphonie
d'une fierté maladive et peinture de ce mal-être qui berce ces années
de basculement entre l'adolescence et la vie adulte. Tous ces cris
polyphoniques que mon âme dissimule le jour se libèrent et chantent en
cœur le soir venu. Détresse involontaire et inavouable, l'écriture est
ce rien, ce rien simple ne demandant qu'une feuille et un stylo, qui
remplit ma vie, qui remplit la vie de milliards personnes désireuse de
s'oublier un instant, de s'inventer ceux qu'elles ne sont pas.
Je suis une grande fille et j'ai appris à me délecter de tous ces
parfums que cette grande fourmilière parisienne offre à mon odorat
anesthésié jusqu'alors par la routine quotidienne d'un environnement
bien trop familier. Je vagabonde sur les quais de Seine à la poursuite
de ce «truc» insaisissable et indéfinissable, enivrant au point d'en
avoir le tournis, à la recherche de ce qu'IL a été pour moi dans le
passé.
Pourtant, je sais que la langue française continue de me façonner.
Aussi vraie que l'œuvre d'art prend forme sous les mains habiles de
l'artiste, ma vie se dessine sous l'égide de ces mots trempés de
sanglots, maquillés par les rêves et les espoirs de la
femme-adolescente que je suis.
C'est dans ces pages griffonnées à la hâte sur les vitres d'un bus que
je retrace ces passages incertains et si vite oubliés d'une existence.
Je recherche ce que je suis en sachant qu'aussi longtemps que je
vivrais je n'aurais pas d'autre choix que d'écrire, pour le meilleur
comme pour le pire.